Cela fait quelques temps déjà que j'ai envie d'aborder ce sujet. Parce qu'en me rendant dans les rayons de littérature jeunesse, je ne trouve quasiment que des livres traduits de l'anglais mis en avant. Parce que la plupart des séries populaires sont anglo-saxonnes. Parce qu'en lisant moi-même de la Young Adult en VO, je me demande pourquoi est-ce que j'aime autant. Alors du coup, je me suis penchée sur le système éditorial américain jeunesse (plus ou moins le même au Royaume-Uni d'ailleurs!) en vue d'éclaircir mes interrogations, sans toute fois prétendre être une grande connaisseuse de la question (j'ai fait un minimum de recherches quand même hein). Le but c'est de réfléchir sur tout ça, évidemment !
Tout d'abord, le système de publication aux États-Unis (USA) est radicalement différent de ce qu'on connaît en France. En France, généralement pour la jeunesse (ça inclut la YA hein) et pour tout d'ailleurs, on envoie son manuscrit et on est pris, ou non. Aux USA, il faut en premier lieu acquérir les services d'un agent. Des catalogues entiers en ligne sont dédiés aux agents, pour que l'auteur puisse en choisir un pour promouvoir son œuvre. Car c'est là le but de l'agent : aider l'auteur à se faire publier en démarchant les maisons d'éditions, les salons, les rencontres etc. en échange d'un pourcentage sur la vente du livre. Tout est très technique : rédiger la lettre accompagnant le manuscrit, à quels événements aller, trouver des auteurs connus pour « blurber » (vous savez ces petites phrases du style « Je ne pouvais pas le lâcher » - M. Auteur Connu, en haut des bouquins ? Eh bien c'est un blurb). Une fois un contrat signé avec une maison d'édition, l'auteur peut avoir une avance financière plus ou moins conséquente afin de réviser son œuvre en prenant en compte la liste de révision envoyée par l'éditeur sur tout ce qui doit être modifié. Cela peut aller de certains passages au titre du roman-même. L'auteur n'a généralement pas son mot à dire sur les illustrations de couverture, la quatrième de couverture ou le choix fait par l'éditeur pour promouvoir le livre. On se retrouve ainsi avec des bouquins comme la série The Raven Cycle de Maggie Stiefvater (on la verra beaucoup dans cet article) qui a été présentée comme une romance paranormale alors qu'en réalité, la romance est tellement minime et pas forcément là où on s'attend et que ça n'a rien à voir. Seulement, d'après les propres aveux de l'auteure, si on en avait donné un réel résumé, ça ne se serait pas bien vendu (alors que le contenu est le même au final!). Dans tous les cas je vous invite très fortement à lire Afterworlds de Scott Westerfeld qui nous sert une très bonne critique de ce système éditorial.
Ce que nous dit Westerfeld ? On ne vend pas de l'original, on vend un concept déclinable à l'infini. Je pense qu'on peut commencer à voir où je veux en venir. Vous vous souvenez de la vague de vampires qui a suivi Twilight ? Du flot de dystopies qui nous submerge en ce moment ? Je ne dis pas là que c'est une mauvaise chose, mais on distingue clairement une tendance. Pourquoi ? Parce que le livre, c'est un marché ! Il ne s'agit plus de pondre une œuvre qui saura ébranler la littérature, mais plutôt de répondre à une demande, de cibler un type de lectorat. Alors évidemment, cela s'est toujours fait et un marché comme celui du manga répond exactement aux mêmes idées ! Je trouve que l'auteure Maggie Stiefvater en parle particulièrement bien. Pour elle, sa série loup-garou qui l'a fait connaître ne visait qu'à « divertir » et non marquer profondément le lectorat comme son autre série The Raven Cycle (le retour !) M'enfin là, vous devez faire les sceptiques et vous dire que je prône l'élitisme ou que je rumine pour rien.
Le problème que j'aimerai soulever est l'existence, au final, de « codes à succès » qui prédominent tout particulièrement dans le monde éditorial américain. Oui, il y a toujours des codes dans la littérature et le storytelling en général, mais là où cela devient mauvais, c'est quand leur utilisation devient systématique et aboutie, au final, à un manque de diversité. Prenons un exemple de code, comme les titres des différents volumes des séries :
The Half Life Trilogy de Sally Green
- Half Bad
- Half Wild
- Half Lost
Vous voyez le problème ? Les titres n'ont plus aucun sens et cela devient problématique dans la mesure où l'auteur doit s'y soumettre. Il y a quelques mois, Cornelia Funke (un grand nom!) a annoncé qu'elle créait sa propre maison d'éditions pour la distribution de ses œuvres (traduites de l'allemand) aux USA. En effet, elle en avait assez de voir ses œuvres affublés de titres qu'elle n'avait pas choisis et qui perdaient le sens de l’œuvre. Elle se retrouvait ainsi avec Reckless et Fearless au lieu de Reckless – La Peau de Pierre et Reckless – L'Ombre Vivante. Et si vous farfouillez un peu dans la YA anglo-saxonne, on trouve ce genre de titres absolument partout. Parce qu'encore une fois, cela fait parti des codes qui fonctionnent !
Toutefois ce qui me choque, moi, en tant que lectrice de France (ça fait super pompeux ça dis-donc), c'est la place minime qu'occupe le talent, l'originalité. Un vieux débat, vous allez m'dire. Sauf que là, encore une fois, on est dans l'exagération : prenez un série qui a bien fonctionné et vous pouvez la retrouver déclinée de toutes les manières possibles et imaginables ! L'innovation dans tous ça ? On s'en fiche ! Ce qu'on veut, c'est le schéma de YA classique (avec un triangle amoureux c'est quand même mieux aha)(surtout s'ils sont tous blancs *sbaf*)(et on en fait une trilogie ! *resbaf*) avec un enrobage légèrement différent histoire que ça passe mieux. Encore une fois, on a toujours fait ça, on raconte tous le temps les mêmes histoires. Mais entre l'Odyssée d'Homère et La Horde du Contrevent d'Alain Damasio, on a tout de même pas l'impression de relire le même machin non ? Et c'est là que je reviens avec Maggie Stiefvater (cette femme est géniale, allez la suivre sur Twitter/Tumblr et lisez-là!)(oui je fais de la pub) qui emploie le mot « divertir ». Car aux USA, la littérature c'est ça et uniquement ça : un divertissement. Et c'est cette exclusivité qui devient mauvaise. En France, on a encore un peu de chance, il reste un côté artistique à la chose (pour combien de temps, ça je n'en sais rien).
Alors je ne dis pas qu'on doit prôner l'élitisme et que la YA « mainstream » c'est le maaaaal, loin de moi cette idée ! Je suis moi-même une grande lectrice de cette littérature et m'en accommode tout à tout fait parce que j'ai le choix. Je peux me divertir avec un Cinder de Marissa Meyer et ne plus y penser et passer des heures et des heures à ressasser ma lecture des Fiancés de l'Hiver de Christelle Dabos. Seulement, dans un marché dominé par une idée de consommation, est-ce que je trouverai mon Christelle Dabos ? Ma vision des choses peut paraître très pessimiste parce qu'on trouve quand même quelques OVNIs dans la YA américaine (coucou Patrick Ness) et que certains de ces bouquins « mainstream » sont excellents, mais je cherche simplement des réponses.
Est-ce qu'on observe un nivellement par le bas de la littérature dans le but de produire du divertissement ? Est-ce élitiste de prétendre que la littérature doit plus être un art qu'un divertissement ? Le système éditorial américain : l'avenir du livre ?
Je m'emporte souvent mais je trouve cela intéressant de réfléchir à tout cela. N'hésitez surtout pas à partager vos avis et à venir discuter, ces articles sont fait pour ça !